« Maître Sun... Dites-moi la vérité sur mes parents. Je vous en supplie. Cessez d’ignorer mes plaintes, cessez de vouloir m’éviter de souffrir. J’ai besoin de savoir. J’ai le droit de savoir. »

Whitney s’était réveillée en plein milieu de la nuit. Il devait être près de trois heures du matin environ, selon son intuition. Les cauchemars hantaient ses sommeils et il s’avérait que lors de son enfance, elle était très fréquemment malade. La petite fille, du haut de ses huit ans, avait hérité de cette caractéristique par sa mère. Et elle tombait malheureusement de plus en plus dans la souffrance de la maladie au fil des années qui passèrent. Elle était encore jeune, mais sa santé se trouvait être de plus en plus fragile. Dieu seul savait lorsque la Mort l’accueillerait dans ses bras. Ça pouvait être dans une année, dans un mois, dans un jour, dans une heure, dans une minute ou même d’une seconde à l’autre.

Pourtant, elle ne se plaignait jamais. Et à vrai dire, elle ne s’était jamais plainte de ce qui lui était arrivé. Tout au long de sa vie, elle avait toujours accepté et recueilli la douleur en se disant que, tôt ou tard, elle disparaîtrait. Que cette dernière passait avec le temps, soit en guérissant, ou pire encore. Et même s’il faisait tout pour maintenir son espérance de vie au maximum, Choi Won-Kyung savait parfaitement qu’elle n’en avait plus pour très longtemps. Il craignait même que sa petite protégée ne rende l’âme avant lui, avant ce pauvre vieillard du quartier malfamé de Shanghai, à qui beaucoup rendaient visite. Choi Won-Kyung était réputé pour être un guérisseur faiseur de miracles. Bien que beaucoup ne savaient qui était réellement ce vieux monsieur qui se faisait connaître comme Maître Sun depuis bien des années, nom qui poussait à l’espoir, à la lumière, cela ne les empêchait pas de lui ramener nourrissons, frères, parents, amis, tous ceux qui leurs étaient chers. Et pour la plupart des cas, ils venaient car les hôpitaux ne pouvaient plus rien pour eux. Et Maître Sun se chargeait de les guérir. Rares étaient les cas qu’il n’avait pu soigner, dont Whitney.

Maître Sun marmonnait souvent, dans sa longue barbe blanche lui arrivant jusqu’au torse, des choses inaudibles. Il répétait souvent qu’il se faisait vieux, qu’il avait besoin de se radoter certaines choses car sa mémoire flanchait ; il était évident qu’il préférait laisser sa protégée dans le doute plutôt que de surplomber l’existence d’une petite fille de choses qu’elle ne pouvait pas comprendre à son âge. A ces temps-là, il arborait un air inquiet ; lorsque ça lui arrivait, Whitney lui demandait malgré tout ce qui n’allait pas, même si elle connaissait déjà la réponse. Et à chaque fois, il répondait tout simplement : « Prend une grande inspiration, et compte jusqu'à dix. » ; et il s’exécutait. Whitney faisait semblant de le croire. Et de toute façon, elle ne cherchait pas à comprendre plus loin. Certes, de nombreuses questions trottaient dans sa tête. Mais lorsque Choi Won-Kyung ressortait son dicton, l’on pouvait s’assurer que tout allait bien se passer.

Mais il y fut un moment où en grandissant, Whitney voulait percer la coque de tous ces secrets. En commençant par ses parents, un sujet que Maître Sun avait toujours évité. Orpheline dès l’âge de trois ans, la petite fille avait été mise au courant que Choi Won-Kyung n’était pas de sa famille. Et ce dernier s’était refusé de lui cacher une chose aussi importante, décrétant qu’un enfant avait besoin de savoir. Mais David Moore et Jessica Parker avaient été des amis chers à Maître Sun. Alors ce dernier, n’avait jamais eu le courage de lui avouer le pourquoi du comment. Il voulait attendre. Attendre qu’elle soit prête. Mais n’était-ce pas une excuse pour plutôt attendre qu’il soit prêt ? Doigts dans sa longue barbe, Choi Won-Kyung ne s’attendait pas à devoir raconter la vérité à la pauvre enfant durant une nuit comme toutes les autres. Et en y repensant, son cœur se serra. De chagrin ? De colère ? De nostalgie ? De douleur. « Prend une grande inspiration, et compte jusqu'à dix. » s’était-il marmonner, avant d’inspirer fortement par les narines.

Retirant ses doigts de la chevelure blanche – la seule qu’il possédait maintenant étant donné qu’il était chauve – et se retournant doucement vers la porte brièvement poussée, il s’agenouilla sur l’un des deux coussins, à nouveau, alors qu’il s’était levé pour ramasser l’un de ses bouquins qui étaient tombés de sa bibliothèque. Reposant ses mains sur ses cuisses, il dévisagea sa petite protégée alors que, pour briser le silence, elle rajouta à sa question : « Je suis prête à savoir, Maître. » Elle poussa une longue expiration alors que d’un simple geste, il désigna l’autre coussin, qui se trouvait être à l’opposé du sien, alors qu’une table basse les séparait. Bien sûr qu’elle était prête. Depuis qu’elle avait été capable d’avoir conscience, elle voulait savoir. Et Whitney était mourante, et elle le savait, et elle ne voulait pas partir sans savoir.

S’il y avait bien une chose qui la définissait parfaitement, c’était la curiosité. Elle était dotée d’une curiosité sans failles. Elle avait toujours besoin de savoir, et aujourd’hui encore, le pourquoi, le comment, le qui, le quoi, tout, dans les moindres détails. Et cette caractéristique-là, elle l’avait hérité de son père. Son père qui avait hérité cela de son père avant-lui encore, reporter connu aux États-Unis. Cette envie, cette soif de savoir. C’était une chose qui suivait les Moore depuis de longues générations déjà. Aujourd’hui encore, c’est une des seules choses que Whitney sait de sa famille. Ses grands-parents, paternels ou maternels, étaient eux-aussi décédés, il y a de cela bien longtemps. A croire que du côté de sa mère, tomber malade ainsi était génétique aussi, puisque le père de sa mère avait aussi été malade, mais un peu plus tard, sur les coups de la quarantaine.

Déglutissant difficilement, Whitney tenait contre elle une peluche qu’elle avait trouvée en traînant dans le quartier, dans une poubelle, alors qu’on l’avait jetée à l’intérieure suite après s’être pris des coups par des gamins un peu plus âgés qu’elle. Fronçant les sourcils, elle regarda son tuteur alors que celui-ci pris une grande inspiration, et finit par reposer les paumes de ses mains contre la table basse. « Oui, tu as le droit de savoir. » Murmura-t-il, alors que de nombreux souvenirs lui revinrent en mémoire. « Tes parents étaient des gens bons. Jeunes, follement amoureux, le sens et surtout l’envie d’aventure dans la peau. Ils étaient venus jusqu’en Chine pour suivre leurs études de journalisme. Ils t’ont eu deux ans après, et le jour de ta naissance, ton père demanda ta mère en mariage. Ils voulaient s’installer dans le coin. Au départ, je les ai aidés à se loger, et à se nourrir. Tes parents et moi étions devenus très proches, ils étaient comme les enfants que je n’ai jamais pu avoir. Cependant, le jour de leur mariage, alors qu’ils ne s’étaient même pas juré leur amour face à Dieu, il y eut une embuscade. »