Le dernier boulot qu’avait trouvé Whitney était chez Franny’s, à Park Slope sur Brooklyn. Elle qui vivait à Lenox Hill, à Manhattan, elle en avait au moins pour plus de trois quarts d’heure de trajet de chez elle jusqu’au restaurant, et encore. Elle venait travailler pour faire la vaisselle, débarrasser et nettoyer les tables, et rares sont les fois où elle avait pu être promue serveuse pour remplacer un collègue. Mais qu’importe, elle gagnait de l’argent, honnêtement comparé à d’autres, pouvait se payer de quoi se nourrir, de quoi s’habiller, de quoi s’éclairer en pleine nuit dans son appartement, de quoi se payer un toit ; elle pouvait se payer de quoi vivre en soit. Elle ne commençait pas tôt, et ne finissait pas tard. Les horaires étaient plutôt généreuses et c’était ainsi qu’elle pouvait se permettre un deuxième boulot. Mais elle préférait s’en tenir à celui qu’elle avait déjà, elle pouvait se payer ce qui lui suffisait pour vivre, ou plutôt survivre dans ce monde de fou. Et il fallait dire que le reste du temps, elle était plutôt occupée.

Mais occupée à quoi, exactement ? Et bien à aider le justicier de la nuit mais aussi avocat et surtout son ami Matt, ainsi que ses deux collègues Foggy et Karen. Certes, Whitney était loin de faire partie de leur entreprise, cependant cela ne l’empêchait pas de jouer les détectives secrètes pour leurs comptes afin de découvrir des informations qui pourraient leur être nécessaires dans leurs affaires. Disons que cela lui rappelle le temps où elle était encore au sein du SHIELD. Le temps où elle excellait dans l’espionnage, le camouflage, l’art de changer d’identité et de visage, un véritable agent de terrain. Et étant donné que l’ancienne White Master connaissait Daredevil, au niveau des compétences, il était certain qu’ils se faisaient confiance. Mais aujourd’hui, elle n’avait pratiquement rien fait. Elle est passée au cabinet Nelson & Murdock, mais seul Karen s’y trouvait. Elle lui avait demandé où était les garçons, elle lui avait répondu qu’ils s’étaient disputés sur une affaire, que l’un était tombé malade et avait pris sa journée, et que l’autre demeurait introuvable et ne répondait même pas à ses appels.

Whitney s’était tout d’abord inquiétée et était partie voir Matt à son appartement. D’accord, il était celui qui était tombé malade, et il fallait plutôt avouer qu’il était en très bonne compagnie. Elle laissa alors son ami et Claire ensemble et partit au bistrot du coin, l’endroit où Foggy aimait traîner habituellement. Il était là, et elle fut soulagée, rien de grave ne leur était arrivé. Soufflant légèrement et guettant l’écran de son téléphone portable, il était temps pour elle d’aller prendre le métro dès maintenant, autrement elle serait en retard à son travail, et Dieu sait qu’elle l’avait déjà été à cause de Frank auparavant, et il valait mieux pour elle d’éviter de recommencer, autrement elle en perdrait son emploi. Sur le chemin, elle donna malgré tout un coup de fil à Karen pour lui expliquer à propos de ses favoris, puis se mit à réfléchir à ce qu’elle ferait ensuite. On n’avait pas besoin d’elle à Nelson & Murdock aujourd’hui, et Frank demeurait introuvable pour le moment, Dieu seul savait où il se trouvait et ce qu’il faisait. Whitney avait déjà essayé de lui envoyer un message la veille au soir, mais ce fut sans succès.

Il y avait un parc non loin du restaurant. Il était très apprécié des habitants de Brooklyn. C’est sûr que lorsqu’on habite Manhattan, on a pas besoin de faire autant de chemin pour aller se balader entre de la verdure ; il y avait pratiquement toujours Central Park à proximité d’où on se trouvait. Et excepté les alentours du parc tels Lexon Hill, ou Hell’s Kitchen, Whitney elle-même était capable de se perdre si elle allait plus loin des lieux où elle était habituée, et serait capable de se perdre dans sa propre ville. Mais pourquoi ne pas essayer Prospect Park ? Mains dans les poches de son blouson, épaules relevées à cause du froid qui s’installait petit à petit alors que l’été nous quittait, que l’on était en plein automne mais que l’on avait l’impression que l’hiver allait taper à la porte en un clignement de paupières, arriver aussi vite que l’été ne fut parti, Whitney erra alors dans le parc, entre la verdure et les arbres, ses yeux se promenant tout autour d’elle, sur les enfants qui jouaient, les gens qui passaient ; ceux en costards qui ne faisaient que traverser le parc à vive allure le prenant pour un raccourci, les parents qui restaient assis aux bancs à discuter entre eux, un couple au loin affalé dans l’herbe à regarder le ciel. A ces visions, parmi les gens, Whitney ne put se retenir un petit sourire. Mais voilà qu’elle se dirigeait vers un endroit plus sombre que les autres, plus à l’abri des regards, et qu’elle tomba sur un événement qu’elle n’aurait peut-être pas dû en être la spectatrice.

Il y avait là sous ses yeux deux groupes, certains se battaient, d’autres se balançaient des choses à la gueule que Whitney, de là où elle se tenait, ne pouvait entendre. Intriguée, et curieuse comme elle était, elle voulait savoir. Elle avait besoin de savoir. Tout le temps. De savoir le pourquoi du comment, le comment du pourquoi, tout, c’était une façon pour elle de contrôler la situation et d’acquérir une certaine connaissance même si la chose se trouvait être minime. Et puis une femme, une jeune femme, s’était un peu plus avancée alors qu’elle semblait ordonner d’un ton sec à l’un des hommes de s’arrêter. Et toute l’agitation de ce dernier disparu dès à ce moment-là, et on aurait dit que la voix de la jeune femme avait ricoché sur tous les autres qui se calmèrent presque instantanément, chacun leur tour. Frottant son pied sur le sol en faillant tomber, cachée derrière les feuillages, elle se redressa immédiatement après avoir vu ceci, et peut-être que c’est ce qui lui a coûté de se faire remarquer par la dite-femme, qui recula en lançant des coups d’œil vers sa direction alors que Whitney essaya tant bien que mal de se dissimuler derrière un arbre. Finalement, jetant un regard vers les deux gangs, elle vit la jeune femme partir d’un pas rapide, trop rapide. Sa curiosité reprenant le dessus, Whitney se sentait obligée de la suivre alors que son propre pas s’accéléra également, ne quittant pas des yeux la silhouette de l’inconnue.
Qui était-elle ? Ou plutôt, qu’était-elle ?

Elle avançait en espérant la rattraper, mais plus son pas se hâtait, et plus celui de la jeune femme aussi. Fronçant les sourcils, le meilleur moyen pour Whitney de rattraper cet étrange personnage était qu’elle arrête tout simplement de la poursuivre. Sa marche ralentit donc, même si celle de la jeune femme continuait sa vive allure, au point de ne devenir qu’une silhouette au loin. Aux yeux de celle qu’elle poursuivait, Whitney ne devait plus être menace. Mais voilà que cette dernière se mit à trottiner d’un coup, repérant tant bien que mal la jeune femme au loin. Elle vit qu’elle tourna dans une rue malfamée plus loin, alors la jeune femme se décida tout simplement à faire le tour, en courant, du bloc de bâtiments pour arriver à l’opposé de la jeune femme plutôt que derrière.

La suite fut rapide et rude. Sans réfléchir plus, la brune ne s’arrêta pas vraiment dans sa course, arrivant vers la jeune femme sur laquelle elle sauta avant de la plaquer au sol. Sa victime semblait se débattre, mais ce n’était pas un problème pour la jeune femme. Whitney s’était déjà battue contre le Punisher presque jusqu’à en mourir, ce n’était pas une jeune fille de cette trempe-là qui allait lui faire peur. Quoique… Si elle avait bel et bien des pouvoirs, et qu’elle s’en servait maintenant pour que Whitney ne la lâche, il se pourrait qu’elle le fasse. Serrant des dents, la brune n’allait pas lui laisser la chance d’exercer quoique ce soit sur Whitney. Surtout que cette dernière ne lui voulait aucun mal, et si l’inconnue avait tenté de garder ses pouvoirs bien secrets, ça n’allait pas être l’ancienne White Master qui allait les crier sur tous les toits. Elle connaissait Daredevil et le Punisher, ce n’était pas la première personne extraordinaire qu’elle croisait et avec les temps qui courraient, Whitney était bien au courant que ça allait lui gâcher le reste de sa vie si quelqu’un racontait aux flics qu’il avait croisé une mutante.

Serrant les poignets de l’inconnue d’une certaine force sans chercher à lui faire du mal mais plutôt à la maintenir contre le sol, elle plongea son regard déterminé et confiant dans celui de son interlocutrice alors qu’elle essaya de la calmer. « Écoutes-moi... Écoutes-moi ! Je ne te veux aucun mal ! On est pareils, toi et moi. Obligés de se cacher car le gouvernement n’approuve pas ce que nous sommes réellement. Je ne te dénoncerais pas. Alors ne me dénonce pas. Mais explique-moi tes pouvoirs. Explique-moi qui tu es. Ce que tu es exactement. » Elle marqua une légère pause afin de voir si elle se faisait bien comprendre par la jeune femme, avant de reprendre. « Tu es une mutante c’est ça ? Ou une surhumaine ? Et comment cela se fait-il qu’on ne t’ait pas injecté le sérum anti-mutant ? Tu as fui toi aussi ? » Whitney avait besoin de réponse, et cela se faisait bien sentir au vu des nombreuses questions qu’elle lui posait.

C’est vrai que son interlocutrice pouvait encore être effrayée par elle. « Je ne te veux aucun mal, je te l’ai dit. Tu peux me faire confiance, même si ça peut être difficile. Après tout c’est vrai, toi et moi, on ne se connaît pas. Mais je peux t’assurer que je ne te balancerais pas. » Pour lui prouver et appuyer ce qu’elle venait de dire, Whitney relâcha la pression de ses mains sur ses poignets. « Tu vois ? Il n’y a aucune raison d’avoir peur. » Doucement, comme si elle avait à faire à un oiseau et qu’elle ne voulait pas qu’elle s’envole, elle s’ôta de la jeune femme en relâchant ses poignets, et se releva lentement. De nouveau sur ses deux jambes, la brune tendit la main en direction de la jeune femme, l’invitant à se relever également.