La compréhension de tout langage. Azur n’est certainement pas un homme de terrain mais on peut difficilement lui cacher quelque chose. Que ce soit les langues parlées sur Terre, le langage des animaux ou celui des machines, le cerveau d’Azur est souple et interprète tout. Apprendre une langue est donc plus facile mais ça ne veut pas dire qu’il sait toutes les parler ensuite. Face à une nouvelle langue, il a besoin de se familiariser avec, de laisser son cerveau se l’approprier et l’écouter pour la comprendre ensuite. Deux mots étrangers qu’il n’a jamais entendu ne feront pas tilt dans son esprit s’il n’en entend pas plus, plus longtemps.
Il ne peut pas non plus comprendre les animaux qui ont une manière de s’exprimer trop éloignée de celle des humains, c'est-à-dire quand ce n’est ni oral ni écrit. Il interprètera mieux les miaulements d’un chat que la signification de certains signes entre animaux.
Le langage informatique est aussi un domaine qu’il maitrise. Comme les langues parlées, il l’a compris et a appris à le maîtriser. Azur doit en revanche essuyer des fatigues cérébrales et des maux de têtes quand il utilise trop longtemps son pouvoir ou à grande ampleur.

Cave d’immeuble - Uper east side - Manhattan

Le noir. Un songe planait doucement, le repos était agréable. Puis une inspiration bruyante vint briser le silence. Sa respiration. Il reprit encore une bouffée d’air avant de réaliser qu’elle était fraiche. Et puis la douleur arriva à son tour pour lui marteler le crâne. Il sentait le sang qui séchait sur son front. Et tout lui revint. Azur ouvrit les yeux. Il se trouvait toujours dans sa cave clandestine. Elle renfermait trois ordinateurs et pas mal de matériel utiles. Il se souvint avoir effacé les données avant de se faire prendre par un type, sans doute un agent du gouvernement, qui s’était pointé. Azur avait eu à peine le temps de tout supprimer et il avait programmé la sécurité de haut niveau mais l’intrus avait réussi à entrer juste avant.

Ah oui, là il était sur une chaise, dos à ses écrans, ligoté par les pieds et les mains. Il esquissa un petit sourire face à ces précautions. Il ne doutait pas un instant que l’homme en face de lui pouvait lui briser tous les os avant qu’il ait pu tenter une quelconque défense. Azur posa ses yeux sur lui. Il avait peut-être la quarantaine, un air arrogant sur le visage, et fier de lui, il consulta sa montre.

- Vous m’avez donné du fil à retordre, monsieur Östensson. Les renforts sont déjà là et ils viendront à bout de votre petit programme de sécurité.

Azur ne réprima pas son sourire. Il savait qu’il était bon. Ca les tiendrait assez longtemps à l’extérieur, le temps que Lysandre vienne le chercher. Il avait déjà probablement remarqué que les données étaient effacées, il viendrait voir ce qui s’était passé et aiderait Azur à sortir avec son immatérialité. Ni vu ni connu, ils disparaîtraient et ce seront des surhumains de plus qui échapperont au gouvernement, encore une fois. C’était plutôt tendance en ce moment. Mais l’agent en face de lui ne semblait pas vraiment détendu.

- Ecoutez monsieur Östensson, vous êtes dans de sales draps. Alors à votre place je ne sourirai pas trop.
- Je vous en prie, appelez moi Azur, déclara-t-il sans changer d’expression.
- Très bien Azur…
- En fait c’est Azurrr avec « r », un vrai « r » comme le prononce les français et pas à l’américaine. Faites le rouler dans votre gorge.

La patience du type était écoulée. Il sortit un pistolet qu’il posa sur la table à côté de lui. Azur lui dit de se calmer, non sans une touche d’ironie.

- Voilà ce qu’on va faire Azur, déclara-t-il en ne prenant pas la peine de faire le « r ». Mes collègues sont actuellement entrain de déverrouiller votre système ainsi que d’enlever les explosifs que vous avez mis à l’entrée. On va donc gagner du temps et vous allez me dire qui vous êtes exactement et ce que vous faites. Je ne m’attendais pas à vous trouver aussi jeune, et je garde donc espoir que vous pourriez être récupéré un jour. Mais dans les bureaux, ils ne seront pas de mon avis. Vous allez donc gentiment coopérer pour espérer sauver votre peau. Et je saurais si vous me mentez. Förstå ?
- Ja.

Azur savait qu’il n’avait pas d’autre choix pour l’instant. Tant pis, si ça pouvait distraire l’agent et le sortir de là au final, il lui raconterait ce qu’il voulait. Toute trace de son existence avait disparu d’Internet et les seuls documents qui lui faisaient défaut étaient ceux en papier, c'est-à-dire un acte de naissance en Suède. Il y avait bien longtemps que toutes les données Internet le concernant avaient disparu. Et l’agent était peu renseigné sur lui. Un coup de chance qu’il l’ait trouvé.

- Vous connaissez la loi qui oblige le recensement ? Et vous savez qu’aider ces gens est illégal bien sûr ?
- Oui, on en entend assez parler comme ça.
- Vous êtes peut-être bon Azur, mais une ligne de code vous a échappé. Juste une petite qui m’a permis de remonter jusqu’à vous. C’était la partie la plus difficile. Aucune info, seulement un nom. Et puis le petit drapeau suédois et la photo que vous affichez sur vos ordinateurs m’ont simplement permis de déduire d’où vous venez.
- Félicitation, vous aurez une médaille.
- Je suis votre seule chance, ne crachez pas dessus.
- C’est marrant, j’ai plutôt l’impression que vous êtes mon seul problème pour l’instant.
- Commencez par le début, Azur. D’où venez vous exactement et où allez vous ?

Azur soupira. L’agent tapota la crosse de son pistolet toujours sagement posé. Et puis il lui montra ses poings. C’était vrai que personne n’allait dire quoi que ce soit si on abimait un hors la loi. Et encore moins s’ils découvraient que c’était un mutant. Azur voyait bien que cet air innocent encré sur ses traits ne prenait pas avec lui. Il commença donc son récit en priant pour que Lysandre se dépêche. Et il faudrait tuer celui là. Il n’aimait pas ça. Lui, il faisait les coups bas discrètement, point barre.

- Vous ne me demanderez pas pourquoi je me trimballe ce prénom, ni d’où il vient, bien sûr. Comme vous l’avez vu, je viens de la Suède avec la double nationalité française que je tiens de ma mère. Et quand je suis né, elle et tous ceux qui allaient croiser mon chemin par la suite, ont d’abord vu mes yeux. Du coup, Azur, c’était pour moi, vous voyez. En Suède les gens ne comprenaient pas la signification de ce mot français et encore heureux, mais quand on a déménagé dans le pays de ma mère, ça ne m’a pas raté.
J’ai vécu parmi les glaçons et les biscottes jusqu’à mes neuf ans et ensuite je suis allé découvrir ce qu’était le vrai pain et le fromage. La transition a été dure. Nouvelle vie, nouveaux amis, nouvelle atmosphère. Mais mes parents avaient envie de déménager alors je n’ai pas eu d’autres choix que de suivre.
Euh… en général je peux dire que j’ai eu un début de vie génial même si je me trimballe quelques problèmes récurrents qui me collent souvent à la peau, en dehors de mon prénom. Super, Azur parce que j’ai les yeux bleus, merci maman. Mais j’ai aussi ce problème vous voyez ? fit Azur en désignant son visage. Vingt ans et toujours une tête comme si j’en avais à peine treize. Donc on m’appelle gamin. A croire que j’attire les moqueries, hein. Du coup j’ai pris une décision fondamentale dans ma vie. Les moqueries, ce sera moi qui les provoquerai désormais. J’ai fais pas mal de bêtises, je le reconnais, mais j’aime rire. J’ai eu des ennuis des fois mais toujours est-il que c’était drôle. Et puis étant fils unique et le chouchou de ma mère, je m’en sortais toujours.
- Oui ça, ça n’a pas changé, ricana l’agent. Sauf que cette fois, vous avez joué dans la cours des grands et vous allez vous prendre une sacré raclée. Maman ne sera pas là pour vous aider. Continuez.

Azur réfléchis une seconde. Lysandre ne venait toujours pas, il devait continuer son histoire. Que dire de plus ? Il pouvait toujours miser sur son talent naturel.

- Je suis doué. Je maîtrise la programmation. Mais là je ne vous apprends rien, ajoute Azur avec un sourire arrogant. J’ai fais mes études en France et j’ai intégré une entreprise qui m’a muté en Amérique. J’ai du potentiel, vous comprenez ? Mais il y avait vos foutues lois. Du coup j’ai essuyé un milliard de recommandations de mes parents pour faire attention à moi, et tous ces discours habituels. Et puis, on ne peut pas dire que j’ai la carrure à impressionner qui que ce soit, donc j’avais intérêt à faire profil bas. J’ai promis d’être raisonnable. C’était franchement sincère à l’époque, je le jure. J’avais presque arrêté mes plaisanteries. La sagesse de l’âge ou quelque chose comme ça. Mais voilà, je suis arrivé dans ce pays de dingues où on mange des hamburgers immondes, plus gros les uns que les autres, et j’ai vu surtout ces gens effrayés. J’aime beaucoup le baratin et les moqueries, mais ça me fait mal au cœur de voir que des personnes avec des mutations qui leur posent déjà problème, soient obligés d’être persécutées par le gouvernement en plus de ça. Donc oui je les ai aidé, et non je ne regrette pas ce que j’ai fais. Et croyez moi, je continuerai à le faire.
- Pas en prison, je vous assure, répondit l’agent un peu crispé.
- Non, pas en prison en effet, répliqua avec un sourire en coin et un regard défiant.

Il considéra Azur en silence. Il le jaugea, détailla les traits de son visage parce qu’aucune photo de lui ne pouvait être trouvée pour l’instant. Il fallait qu’il le retienne, qu’il mémorise son expression naïve, ses grands yeux bleus, ses cheveux de jais et la manière dont il se mouvait avec sa taille bien trop grande par rapport à une largeur d’épaules aussi pitoyable. L’agent regrettait de ne pas avoir prit son matériel. Il était venu ici pour un simple interrogatoire, pensant ne pas trouver directement sa cible. Au lieu de ça, il avait découvert la cave et ce garçon avec ses ordinateurs. Et la sécurité s’était immédiatement enclenchée ensuite.

L’agent se retint de le frapper. Il n’en pouvait plus de ce petit sourire arrogant sur les lèvres d’Azur. Bien sûr, ce dernier n’avait pas mentionné qu’à ses onze ans, il avait développé des « capacités ». L’autre en savait déjà bien assez comme ça. Il ne se doutait pas que le suédois, le français puis l’anglais n’étaient pas les seules langues qu’il comprenait. Non, Azur les comprenait toutes. Ca avait fait poser des questions à ses parents à l’époque. Il était évident qu’il avait des capacités. On l’a appelé surdoué, prodige, voire intello pour les plus jaloux. Mais comme il comprenait aussi leur chat et le langage informatique avec des efforts, ils ont vu que c’était un peu plus que ça. Heureusement pour Azur, et surtout à cet instant précis, sa mutation était discrète voire inexistante aux yeux des humains.

L’agent ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais il se stoppa soudainement pour regarder derrière l’épaule d’Azur. Ce dernier sourit. Il n’avait pas besoin de tourner la tête pour savoir que Lysandre était là. L’homme saisit son pistolet pour tirer deux balles. Azur baissa la tête. Les balles avaient traversé son ami pour ricocher contre le mur. Son ami immatériel, qui entra dans son champ de vision, l’air déterminé. Azur ne voulait pas voir ça. Il savait qu’il passerait le bras au niveau du cœur du type et qu’il redeviendrait matériel à ce moment là.

- Hé gamin, ça va ? lui demanda Lysandre deux secondes après.

Azur ouvrit les yeux. L’autre n’avait même pas crié que son cadavre gisait déjà par terre dans une marrée de sang.

- Ouais répondit-il enfin alors qu’il le détachait.
- Ils vont bientôt rappliquer. On en fait quoi ?

Lysandre désigna les ordinateurs du menton.

- Ca me fait mal au cœur mais… On détruit tout.

Les deux prirent les explosifs qu’Azur n’avait pas utilisés pour la porte et ils les allumèrent avant de détaler. Ca faisait toujours une drôle de sensation quand il traversait les murs avec Lysandre, mais l’avantage était qu’en deux secondes, ils étaient dehors, loin de ce raffut. Satisfaits, ils s’éloignèrent un peu. Puis la détonation secoua le sol. Azur se mit à rire.

- Pourquoi tu ris, gamin ? lui demanda Lysandre. Tu n’en n’as pas terminé avec ça, ils vont continuer à te poursuivre.
- Techniquement on est poursuivi depuis le jour où on a commencé à aider les nôtres, je te rappelle. Respire mec, je vais effacer le potentiel fichier que ce débutant aurait pu commencer sur moi et tout ce qui s’y rapporte, c’est déjà plié.

Azur se fit traiter d’arrogant. Il sourit. Il savait qu’on n’était jamais aussi bien servi que par soi-même en compliment. Mais pour l’instant, il avait faim.